05/11/2015
Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles
c’est ailleurs on dirait
loin du ciel
loin du bleu tumulte qui interdit
il y a de la terre dans les masses bruissantes
dans les cernes
les volumes
dans les ombres devenues fragiles
il y a du mauve dans ces ombres
c’est l’été
dans une autre lumière
l’odeur est celle des pierres avant la pluie
*
on ne sait rien de l’été
rien de ces quelques mots qu’il dénoue
trop lourds souvent
pareils à ces branches basses
vautrées dans la poussière
au milieu de l’allée
ou à ces fleurs encore
écloses parmi les pierres
isolées rouges
fragiles au cœur du ruissellement
Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles, 1990 ;
Flammarion, p. 72 et 84.
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13/02/2015
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours
Toujours le même plaisir de voir des chevaux, même montés par des flics. Je suggèrerais volontiers à l’un d’entre eux de grandir son buste, de basculer le bassin, de descendre les jambes, bref, d’apprendre à se tenir à cheval ; la monture, quant à elle, semble perdue dans ses pensées : le spectacle de la rue l’indiffère.
Dans La ferme des animaux les chevaux représentent le prolétariat ouvrier.
Seul depuis quelques jours, et je ne parviens toujours pas à me rencontrer. Ce qui pourrait aussi se dire ainsi : « Cet appartement est trop petit pour deux personnes, nous ne cessons de nous heurter. »
Non, rien qui ne puisse attendre demain ! Il est trois heures du matin, pas question de me lever pour écrire, à peu de choses près, ce que j’ai déjà dû cent fois écrire — j’allume la lampe de chevet, tâtonne ébloui vers un bout de crayon — à savoir : « Indispensables et dérisoires, tels me paraissent ces carnets quand ils ne sont que l’alibi qui me permet de vivre mon désœuvrement de manière apparemment studieuse, même si, en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Il s’agit bien d’une dépendance et ma force de caractère, j’ai eu l’occasion de le remarquer, s’apparente à celle d’un toxicomane. Ceci étant, il peut m’arriver de décrocher durant un jour ou deux et sans effort, non, pas le moindre, mais avec mauvaise conscience, comme si griffonner s’avérait un devoir. » J’ai, cette nuit plus que jamais, l’impression d’avoir muettement profané le silence.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le bruit du temps, 2014, p. 93, 93, 115, 117.
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12/11/2014
Jean-Luc Sarré, La part des anges
On n'a pas le cœur à défaire
pour les vider de nos vacances
les valises qui encombrent l'entrée.
Les fantômes sentent la naphtaline
et le plaisir n'est plus le même
de convier le jour à noyer
un salon qui nous paraissait
vaste il y a seulement deux mois.
On ôte un suaire, on se vautre,
ni heureux ni triste, égaré
parmi les images de l'été
— elles et la nuit et la musique.
Mêler sa voix à celle des autres
en laiqqanr croire qu'on sait lire
ces indéchiffrables portées
ne fait pas longtemps illusion.
« Cheval sanglé jusqu'aux faugères
tu seras mon solfège » dit l'enfant
en pressant les flancs d'un dimanche
qui rentre rênes longues, encolure basse.
Jean-Luc Sarré, La part des anges, La Dogana,
2007, p. 91, 36.
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19/04/2014
Jean-Luc Sarré, Bribes (Pages de carnet)
Faubourg. La résonance de ce terme est pour moi essentiellement parisienne ou du moins l'était encore jusqu'aujourd'hui. Un faubourg, contrairement au centre de la ville, ne devrait pas changer, tout au plus lentement évoluer, et par contrainte plus que par choix, l'époque laissant derrière elle son sillage de bouleversements (je n'ai pas reconnu, dans le dix-neuvième arrondissement, des rues qui m'étaient autrefois familières.) À Marseille, c'est de périphérie qu'il faudrait parler ; ça n'invite pas vraiment à musarder.
Je relis et renonce à recopier telle note grevée de maladresse ; pourtant je m'en souviens, rien ne semblait m'importer plus, quand je l'ai crayonnée, que ce qu'elle tentait d'appréhender.
Le cri de l'effraie légitime l'insomnie.
L'impression l'est souvent insupportable d'habiter depuis longtemps une interminable parenthèse. Quand ai-je bien pu l'ouvrir ? Il pourrait m'appartenir de la fermer mais je doute avoir un jour ce courage ou cette lâcheté.
Atelier cuisine, atelier macramé, atelier poterie, atelier poésie.
Jean-Luc Sarré, Bribes (Pages de carnet), dans La revue de belles-lettres, 2013, 2, p. 83, 84, 85, 86, 88.
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28/11/2013
Jean-Luc Sarré, La Part des anges
Une semaine avec les éditions La Dogana
Citadin, il aime les jardins
mais pour les rejoindre il lui faut
attendre les vacances d'été.
Un après-midi de septembre
il arrive que l'orage survienne
et le trouve, assis sur une fesse,
étrangement irrésolu.
Une tonnelle d'abeilles au travail
l'a détourné de son chemin
pis abandonné sur une souche.
Les gouttes sur les feuilles l'allègent
d'un fardeau qu'il ignorait porter.
*
Oublié le bâton de réglisse
qui jaunissait les commissures ;
une cigarette succédant
à l'indispensable cigarette
ils ne vivent plus que pour fumer.
Mieux vaut en ville être au moins deux
pour oser croiser les regards
réprobateurs ou amusés
— ceux-là sont les plus blessants —
mais parvenus dans les faubourgs,
certains aiment la garder au bec
en évoquant les larmes aux yeux
l'ambiance — Smoke gets in your eyes —
d'une innocente surprise-partie.
Jean-Luc Sarré, La Part des anges, La Dogana, 2007, p. 25, 69.
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16/01/2012
Jean-Luc Sarré, Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005
Le luxe, c'est-à-dire les arbres et le silence mêlés.
J'ouvre la fenêtre pour aérer la chambre et c'est le bruit qui entre.
Il fait beau. (Complète qui voudra.)
(N') être chez soi nulle part.
Plaisir de se taire. Aujourd'hui, je n'ai pas dû prononcer plus de trente mots.
Pourquoi ces notes alors que le monde, la plupart du temps, me semble non pas tel que je le dis mais tel que je le tais.
Je suis amoureux du silence. S'il m'arrive de le rompre en parlant, c'est qu'il ne me donne pas toujours ce que j'attends.
Ils furent nombreux à vouloir m'apprendre à vivre mais j'étais un vrai cancre.
« Vivre c'est prier, aimer, vouloir » écrit Amiel dans son journal. Je savais bien que je ne vivais pas.
Vas-y, monde, parle, je t'écoute ! et le bruit d'un moteur me parvint.
Je n'ose jamais citer Joubert, trop aérien pour moi, trop pur. Je crains de l'abîmer en le saisissant ainsi, au vol, si tant est que je le puisse.
Pourquoi me suis-je un jour mêlé d'écrire alors que c'est aux paysages, à leurs couleurs, que je fais appel lorsque je perds pied ?
Jean-Luc Sarré, Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005, Chêne-Bourg, La Dogana, 2010, p. 15, 20, 22, 25, 33, 35, 39, 46, 59, 61, 73, 79.
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